Certains disent qu’une bonne chanson c’est 3 minutes de pop efficace. D’autres pensent que c’est une vie toute entière plus une seconde de fulgurance. Mottron, jeune français de 32 ans, œuvre dans la seconde catégorie. Alors que la plupart de ses collègues écrivent vite, visiblement pressés par un tic tac invisible, lui construit de petits monuments qu’on nommera, faute de mieux, des cathédrales organiques. L’équivalent de la Sagrada familia, construite pierre après pierre pour aboutir à « Giants », son premier album. C’est pas trop tôt.

Si l’on écrit cela, c’est parce que Mottron a préféré, comme disait Bashung, prendre la contre-allée. Né en France, il a néanmoins passé la moitié de sa vie au Canada, ce qui lui a naturellement donné une oreille anglo-saxonne. Complètement autodidacte, il débute « tardivement » la musique, à 17 ans, apprend tout, dans son coin. Et puis après ? Après, plus rien pendant 12 ans. « Le luxe, c’est le temps », dit-on.

« Pendant 12 ans, j’ai travaillé enfermé chez moi explique la nouvelle signature de LE LABEL, je voulais que les premières compositions que les gens entendraient soient précises ». Précis. Le mot revient souvent dans la bouche de Mottron. A la manière d’un peintre dessinant, gommant, refaisant les contours jusqu’à la perfection, il aime prendre son temps parce que pour contredire le dicton de feu Pierre Barouh (« il y a des années où l’on a envie de ne rien faire ») lui a depuis ses débuts envie que chaque seconde dure un an. « J’ai un rapport très impressionniste avec la composition rajoute-t-il, ce qui m’intéresse c’est la lumière, les couleurs, l’ambiance ». Une musique picturale, pour résumer. En fait, Mottron chante à coups de crayon.

Des émotions, plus que des idées, qu’on retrouve telles quelles sur ce futur premier album qu’on qualifiera d’incomparable, au sens où le musicien n’aime pas se comparer aux autres pour résumer ses « chansons ». A peine peut-on esquisser des lointaines ressemblances avec Sufjan Stevens (pour les voix perchées), Thom Yorke (pour la démarche de plus en plus radicale), l’Américain DM Stith (pour les orchestrations célestes) ou encore Scott Walker et David Sylvian, ses deux « peintres » de chevet.

Comme avec la Mona Lisa, les titres de « Giants » donnent l’impression de vous regarder d’où que vous soyez dans la pièce. Plus qu’un effet d’optique, c’est le résultat d’un labeur. Ce que les gens nomment détail, lui appelle ça précision : « la plupart des morceaux, je les ai écrits en quelques heures et je les ai travaillés plusieurs mois chacun ». Souci de la finition ? Sans doute. Mais aussi apprentissage d’un langage alternatif – la musique – qui peu à peu est devenu son principal outil pour exprimer ses peurs, ses fascinations, ses techniques d’escalade. D’où le nom pour l’album, « Giants », parce que chaque titre a été une sorte de montagne à gravir comme un sommet parsemé d’embuches pour arriver à bout d’une pente.

Quant au nom, Mottron, c’est le sien. Il évoque des machines anciennes, électroniques et cristallines, mais pourtant ce n’est rien d’autre que Pierre Mottron, accompagné pour le coup de quelques invités comme Lionel Marchetti (musicien de musique concrète), Nastasia Paccagnini (du groupe Thé Vanille) ou encore Tujiko Noriko (chanteuse de la scène laptop tokyoïte). Au premier plan, une voix, toujours la sienne, fendant la pierre. Et le disque, naturellement, de sonner comme un authentique autoportrait, à la fois loin des selfies mensongers et très proche de ce que ce Français patient avait en tête, quand son introspection débuta avant-hier, c’est à dire il y a un peu plus de 12 ans. Pas sûr qu’il faille attendre encore si longtemps pour écouter la suite.